Questions en A.

Amour, Amitié… Ambiguïtés ?

Ou l’Histoire du Prince Charmant qui s’était tiré une balle dans le pied…


A dix ans, j’écrivais solennellement dans mon journal intime « Je suis sentimentale » (« …et obsédée sexuelle » mais là, on sort du sujet). Voui. C’est comme ça que je me voyais : romantique, fleur bleue, attendant mon Prince, comme il se doit.

Mon Prince est arrivé. Il m’a aimée, m’a épanouie, m’a donné deux beaux garçons… et aujourd’hui je lui fais un enfant dans le dos : ce livre.

Traité de liberté, et donc liberté sexuelle entre autres ? Ode à la préservation de l’intimité de chacun ? Et si, finalement, c’était surtout une déclaration d’amour pas comme les autres ?

Que chacun de vous en reçoive le reflet qui lui correspond le mieux.


Bouh… Que voilà un sujet trivial, superficiel ! Un questionnement dont l’intérêt se limite à l’émoustillement qu’il provoque…

Vous en êtes sûr ? Amour, amitié, sexualité, intimité, attachement, voilà un ensemble de notions qui prennent leurs racines au plus profond de chacun de nous, qui nous renvoient l’image de notre personnalité la plus intime. J’ai été étonnée de découvrir, au fil de mes questionnements, que ces sujets prennent même directement leur source dans un domaine qui me préoccupe aussi beaucoup : l’éducation des enfants vers l’autonomie.

Des questions, donc, surtout. Quelques réponses aussi, mes réponses. Tout ceci reste ouvert et évoluera, je l’espère, avec la confrontation aux idées et réponses que ces pages feront peut-être naître. Et qui sait, peut-être aussi que quelques-unes de ces réflexions et leur aboutissement feront écho en toi, lecteur, et t’aideront à avancer sur la route de la connaissance de toi-même, celle qui mène à l’épanouissement de soi et, par rebond, à celui des autres.

Qui suis-je pour avoir cette prétention ? Personne. Juste une personne. Une parmi les autres. Une pierre de l‘édifice. Une maille du tricot.

Ne filez pas ! J’arrête de broder et j’entre dans le vif du sujet.



L’amour, pour commencer

Amour, ange mignon, donc forcément asexué, es-tu si bien placé pour représenter cette notion si célèbre dans laquelle l’homme, en général, englobe toujours et d’abord… le sexe ? Vu comme ça, c’est peu probable.

Alors les « Je t’aime », ces mots qui servent quasiment toujours de préambule aux ébats intimes… sont-ils la partie tangible de la flèche de Cupidon ? Ah oui…l’amour transperce, il fait mal bien sûr, il crée une blessure. Mais d’où vient-elle, cette douleur ? Est-ce la foudre qui fait palpiter notre petit cœur ? Ce fameux…

… État amoureux ?

Qu’elle est puissante, qu’elle est délicieuse cette drogue qui inonde nos veines et nous envahit de ses bienfaits : qu’il est bon de tomber amoureux !

Mais pourquoi « tomber » ? Il est vrai que cet état est malheureusement temporaire… trois ans au plus, disent les scientifiques… tiens ? juste le temps de concevoir et d’élever un premier petit enfant d’homme… pratique !

Mais après ? ça devient quoi, l’amour d’amoureux ? ça nous fait tomber où ? De haut, parfois, lorsqu’on se désembue le regard et que s’envole le voile magique qui transformait l’être aimé en être parfait. Dur, dur alors, pour le couple et pour les enfants. De moins haut, parfois, quand on a eu la chance de tomber sur un amoureux qui se révèle, aussi, un très bon ami.

Mais il devient quoi, alors, l’amour ? De la tendresse ?

Quand l’amoureux devient l’ami : et la tendresse, bordel ?

Le chat retombe sur ses pattes… ouf ! Drôle de parcours, qui mène à l’amitié « par hasard », mais joli parcours ! Le couple est protégé, les enfants aussi, la vie est stable et agréable. Mais la tendresse, ça suffit ? Elle n’a rien d’exclusif, contrairement à l’amour qui l’a engendrée… La tendresse, c’est universel, ça se distribue, ça ne se compte pas. Alors, c’est vraiment tout ? Qu’est-ce qui nous reste, rien qu’à nous ?

L’intimité du couple !

C’est quoi ? L’accolement, la fusion de deux intimités ? Ça ne peut donc être qu’exclusif… exclusif et obligatoire… intrusion du « tue l’amour ».

Alors ça y est, on n’est qu’un, un couple, parfois de parents, et l’on est donc condamnés à le rester ? À se voir tout nus et s’embrasser sur la bouche sans émoi ? À dormir dans le même lit en ayant autant de gêne aux entournures que de confort thermique ? À se demander si l’on fait assez souvent l’amour, par rapport aux couples « normaux » ? À manger la même chose et se voir sans en avoir toujours l’envie ? À se sentir mutuellement les chaussettes sales ? À voir son caca par la même lunette ?

Tout cela est naturel pour deux corps biologiquement semblables, comme un parent et ses enfants… mais pour un couple ? Vous le sentez, le besoin d’air ? L’appel du dehors ? Le désir de préserver sa propre intimité, sa propre intégrité.



L’intimité

L’intime, c’est forcément l’individuel, l’unique. On peut partager un certain degré d’intimité, mais l’entière intimité reste toujours personnelle. Elle n’appartient pas au couple, elle y participe seulement en partie. Sa préservation profonde est d’ailleurs le secret de la longévité de cette association. Chacun de nous en est le seul et l’unique propriétaire, comme il faut l’être du lopin de terre qui nous est indispensable pour vivre. Toute appropriation abusive est le terrain de conflits, comme la propriété d’un territoire trop grand pour soi (la patrie ?) est la cause des guerres.

Même ses frontières sont notre propriété, notre choix : chacun « tolère » un degré différent de contact physique avec les autres, ce sont là les bornes de notre intégrité physique et morale, notre intimité, notre jardin secret. Nous seuls en connaissons les clés et les points sensibles : tel geste nous sera indifférent alors que tel regard ou telle parole provoqueront notre émoi.

Ce sont aussi les limites entre tendresse et sexualité : les extrémités sont évidentes, mais la frontière ? Un massage est-il sexuellement connoté ? Un baiser sur la bouche est-il un acte sexuel ? sensuel ? érotique ? neutre ? tendre ? familial ? À chaque personne et à chaque contexte une réponse distincte _le sein de la mère et celui de la femme logent au même endroit, mais répondent à des émotions bien différentes_, le tout est de respecter chaque sensibilité individuelle.

Car, au coin du bois, apparaît l’inquiétant désir…

Le désir



- On peut désirer un corps, paraît-il, purement physiquement. Ou bien cela ne serait-il que de l’excitation sexuelle ? Je suis mal placée pour en parler, je ne l’ai jamais connu… Les seules rêveries « impersonnelles » que je puisse avoir sont le reflet, je pense, de mon propre désir d’être désirée, voulue, aimée, comblée. Ce n’est donc à mon avis qu’une image du désir, que je recherche, comme tout un chacun, jamais l’envie d’un autre corps, seulement. Cela ramènerait d’ailleurs le corps de l’autre au statut d’objet et, outre que je sois incapable de concevoir une personne comme une chose, je ne peux pas dire que j’aie « envie » de mes mains (ou de tout autre objet) , lorsque je les utilise à des fins intimes… Je n’ai pas de « désir » pour eux, j’en ai juste besoin pour arriver à mes fins.

- On désire, bien sûr, celui ou celle dont on est amoureux. Ouf ! c’est la norme. Zut ! C’est le désir pour un être corps et âme idéalisé, une sorte d’illusion de désir. Il faut, d’abord, qu’on lui plaque nos idéaux pour se sentir, ensuite, irrépressiblement attiré… on n’est jamais mieux servi…

- Enfin, on peut désirer une connaissance, une personne proche, parfois intime, en tout cas assez bien connue*. On glisse alors de l’idéalisation (ou de la répulsion) vers la réalité. Notre ressenti intime varie au gré de la connaissance de l’autre. Car le physique, pour moi en tout cas, est modelé par la personnalité : plus j’apprécie quelqu’un, plus je le trouve beau ! Donc plus je risque de le désirer… Pas à tous les coups tout de même, ne partez pas tous en courant comme ça !

Mais alors, l’amitié peut-être teintée de désir ? Et c’est pas grave ? Et c’est pas interdit ? Et faut pas en avoir honte ? Eh bien oui ! et non ! et non ! et encore non ! Et je dirais même, souvent…

L’amitié

Ah l’amitié. Vaste programme. Qu’est-elle, au fond ? Un lien, non exclusif lui, qui n’engendre, normalement, aucune jalousie, aucune souffrance ni même sentiment négatif, mais un respect et une affection profonds, sans attachement excessif et sans devoirs, sans comptes à rendre. Et en même temps c’est un lien unique, particulier, propre à chaque paire d’amis et variable aussi, pour cette même paire, au sein des différents groupes d’amis. C’est donc une source de richesse infinie, où chaque ami répond à une ou plusieurs facettes de notre personnalité et les épanouit, par son amitié.

Faut-il rechercher l’ami parfait ? Le fameux « meilleur ami » ? Notre sosie exact ? Serait-ce lui l’être aimé des romans ? Ou se révèlera-t-il des plus ennuyeux, au contraire ? N’est-ce pas par leurs différences que deux amis s’enrichissent le plus ? L ‘amitié aide à accepter, à oser ce que l’on rejette parfois sans raison. Les points communs servent de pont pour franchir la barrière des différences et s’en affranchir enfin, pour l’ouverture et le bonheur de chacun. Abusons donc de ces amitiés véritables, de ces liens bénéfiques, uniques et libres, qui ne peuvent nous apporter que du positif !

Quand l’amitié et le désir s’emmêlent

Mais que se passe-t-il lorsqu’un ami devient un partenaire sexuel, potentiel ou consommé ? Quelle baguette maléfique métamorphose ainsi l’amitié en ce danger menaçant qu’est le chagrin amoureux, la souffrance affective ? Que se passe-t-il finalement lorsque amitié et sexualité, intimité profonde, se rencontrent ? C’est ça l’amour ?

Et pourtant… il peut y avoir amour, même non consommé, sans sexualité donc. Et il peut aussi y avoir amour sans amitié… mais d’ailleurs appelle-t-on cela de l’amour ? On dirait bien qu’il est difficile de faire la part des choses… L’Amour avec un grand A n’est-il pas plutôt un don, un respect, sans attente, donné à chacun ?

Mais je m’avance et m’éloigne du sujet : l’amitié change-t-elle, voire même disparaît-elle le jour où elle se teinte de sexualité ? Qu’a-t-elle de si terrible, de si fatidique, cette sexualité, pour avoir un tel pouvoir ? N’est-elle pas un peu diabolisée à tort ? Finalement, n’est-elle pas simplement une partie de nous ?

Mais alors, qu’est-ce qui accompagne la sexualité comme son ombre et qui la rend si…puissante ? En fait, si on y regarde de plus près, l’amitié ne change pas le jour où le sexe s’en mêle… mais le jour où l’attachement s’en mêle ! Elle cesse alors d’être amitié pour devenir attachement amoureux.

Quand on tombe amoureux de quelqu’un, on s’en imprègne à tel point qu’il devient une partie de nous ; la simple idée de son départ, alors, nous brise. C’est un des signes de cet attachement.

L’attachement

Et tout ça pour quoi ? Qu’est-ce qu’il nous apporte, cet attachement, finalement ? Beaucoup d’ennuis…

Si l’on a constamment envie de l’être aimé, si l’on pense à lui à chaque instant et que cet état est réciproque, alors à quoi sert l’attachement ? Il suffit de suivre ses envies et de se rejoindre le plus souvent possible, dans un élan conjoint. Le jour où cette pulsion faiblira, pour l’un ou l’autre, l’attachement du partenaire « abandonné » ne lui servira qu’à souffrir… et à faire fuir l’autre encore plus vite. Quelle est la solution alors ? Lorsqu’on est porté par la « passion » amoureuse, peut-on réussir cette quadrature du cercle : fusionner nos corps et nos désirs avec bonheur et osmose tout en préservant notre personnalité ? notre intégrité ? Peut-on contrôler cela ? Je ne sais pas, mais ça vaut le coup d’essayer ! Qui sommes-nous ? difficile à dire, mais tentons de rester intègres et solides, ce sera plus facile ensuite de l’entrevoir, de le chercher.

Partager des moments d’intimité avec quelqu’un ne signifie pas briser notre intégrité, autant physique que morale. Cet échange se doit simplement d’être respectueux et réciproquement désiré, rien d’autre n’est dû, il ne donne aucun droit à part celui de profiter du moment.

Notre corps nous appartient, même si on laisse l’autre y pénétrer.

Et de même, notre esprit doit toujours être préservé et protégé : l’esprit du partenaire vient s’y adapter, le sublimer parfois, mais il n’y remplace rien ni ne comble aucun « vide ».

Attachement… manque d’autonomie ?

Alors finalement, d’où vient-il, cet attachement ? Il est obligatoire ? Intrinsèque à l’amour ? On se le construit ? Ou l’on nous le crée ?

Qu‘il soit nécessaire pour que les enfants nés d’une union s’épanouissent dans la sécurité, cela ne se discute pas. Mais il se doit de lier les parents à leurs enfants, et pas nécessairement les parents entre eux !

Que ces deux-là se conservent toujours amitié, respect, soutien, solidarité, affection, estime et pourquoi pas… désir ? très bien. Mais qu’ils se mettent à dépendre l’un de l’autre et tout perd l’équilibre !

Les enfants dépendent de leurs parents, oui, le temps qu’on les guide sur la voie de l’autonomie et de l’indépendance, sans les ensauvager, bien au contraire, en les rendant « simplement » libres et heureux de l’être. Libres de vivre leur vie, de créer les liens qu’ils souhaitent et qui leur sont bénéfiques, et pas « en manque » ou en recherche permanente de la personne à laquelle s’attacher pour combler leur vide… et marcher sur trois pattes.

Car, à mon avis, l’attachement, dans son sens excessif tel que décrit plus haut, entre adultes (en pleines capacités d’autonomie physique et intellectuelle, ça va de soi) est avant tout une source de souffrance.

Mais comment faire pour y arriver ? C’est tout de même très dur d’aller à l’encontre d’une pulsion aussi forte… Pour nous, c’est sûr que ce sera un gros travail… mais le plus urgent c’est de donner à nos enfants les bonnes bases pour qu’ils n’aient pas eux aussi tout ce chemin à rebrousser à l’âge adulte. Alors, une solution, ce pourrait être…

…L’éducation à l’autonomie ?

C’est vrai, comment faire pour lutter ? Quel « bonheur » formidable, pourtant, de s’entendre dire « Je t’aime », « C’est toi que je veux », « Tu es la femme/l’homme de ma vie », « je veux faire ma vie avec toi » ! Mais est-ce simplement réaliste ? possible ? honnête ? vivable, même ?

Ça fait plaisir, ça, oui, c’est sûr… et d’ailleurs, pourquoi ? Ah, quel baume au cœur, quel sentiment d’accomplissement, de réussite, d’aboutissement… Allez, sûr que c’est de la psychologie de comptoir mais j’ai envie d’émettre une hypothèse : le jour (tant rêvé) où l’on entend cela, il est possible qu’on pense qu’on a (enfin !) trouvé ce que l’on cherchait depuis toujours, ou depuis qu’on l’avait perdu : l’amour parental ! Le total, l’indestructible, le merveilleux amour de nos parents… et leur admiration, et leur estime.

Je ne sais pas vous, mais moi, toute mon enfance, on m’a « appris » (ou laissé penser) que j’étais incapable de prendre soin de moi-même, de réfléchir, de faire des choix valables, d’avoir des initiatives ou même des paroles dignes d’intérêt…On m’a inculqué (sans le vouloir peut-être, c’était l’époque…) le besoin de l’autre, de son aide, de son avis, de son jugement, de sa présence… la recherche de son amour et de son estime, aussi. Je me suis construite autour d’un tuteur trop rigide qui a laissé, après son départ, l’empreinte de son vide et l’envie de le combler, d’obtenir enfin la reconnaissance et l’approbation parentales, l’amour inconditionnel en fait, que j’attendais tant.

« Ne donnez pas trop d’amour à vos enfants, vous allez les gâter, les pourrir »… qui n’a jamais entendu ça ? J’ai l’impression qu’on raisonne à l’envers :

-quand le bébé est en besoin affectif permanent, on dit « laissez-le pleurer », « il faut qu’il apprenne à dormir seul », « ne le prenez pas toujours dans vos bras » !

-et puis, quand il cherche à faire les choses par lui-même (oh, assez vite, ça commence avant deux ans !), quand il se sent prêt, cette fois, à prendre son envol par étapes, on se substitue à lui, on fait tout à sa place (pas méchamment, hein, mais ça va plus vite, ça « repose » tout le monde de le nourrir à la cuiller, de l’habiller, de le porter, le tenir…), on décide pour lui de ce qu’il doit faire à tel ou tel moment, à la maison, à l’école… On le soumet, ni plus ni moins, à notre volonté, à notre autorité… à notre amour. A la condition de notre amour, plus exactement.

Et si on faisait l’inverse ? Si notre amour lui était acquis, quoi qu’il arrive et pour toujours ? Et qu’à partir de là on soit un tuteur aimant, c’est-à-dire souple, non pas démissionnaire ni qui laisse tout faire, mais qui guide en s’adaptant, en se moulant à la forme, unique, de chaque enfant ; qui le mène vers l’accomplissement mais sans contrainte inutile, sans rigidité ni rigueur excessives. Ainsi arrivée à maturité, notre belle plante pourrait s’épanouir et étendre ses branches vers les autres, se passer enfin de tout tuteur (ou substitut de tuteur) et, campée sur son pied solide, diffuser tout l’amour qu’elle a reçu et qui l’a imprégnée, pour la vie, comme Obélix par la potion magique.

C’est beau hein ? En attendant, moi, on m’a loupée… et je suis (ou j’étais ?) comme beaucoup, je voulais toujours être «LA seule et l’unique », « la plus » pour quelqu’un, pour mon Prince Charmant, bien sûr. Et à vouloir « le plus », le parfait, le formidable, le toujours, on en oublie de profiter déjà d’être là, simplement, à ce moment-là et avec cette personne-là.

Mais quel formatage subit-on, après notre éducation, par la société elle-même, quel bourrage de crâne ai-je reçu pour me sentir encore aujourd’hui une bien belle salope ou, au mieux, une petite conne, en écrivant ces lignes ? Qui m’a fait (et essaie de continuer à me faire) croire que je ne m’appartenais pas ? Que j’avais besoin d’un autre pour vivre ? Pas toi, mon amour, c’est grâce à toi que j’en suis arrivée là aujourd’hui.




Petit aparté : les 13 règles d’or du tuteur aimant

1 Connais-toi toi même, admets tes faiblesses et sers-toi de tes erreurs et de ta personnalité comme d’un outil.

2 Souviens-toi de ton ressenti d’enfant ou, à défaut, place-toi le plus souvent possible dans la peau de l’enfant qui te fait face ; tu comprendras ainsi son sentiment d’injustice, d’incompréhension ou sa blessure, souvent légitimes, et tu gagneras en tolérance.

3 Ne pense pas être supérieur en quoi que ce soit : un enfant peut t’en apprendre bien plus que tu ne lui en apprendras, mais pour cela il faut lui ouvrir ton cœur, l’observer, l’écouter et le comprendre le plus sincèrement possible pour t’adapter à lui, et non le contraire.

4 Donne autant de valeur (et même davantage) à l’enfant qu’à n’importe quel adulte : ne lui refuse pas le droit à l’erreur (casser un joli verre par exemple), le besoin de respect, l’attention qu’il demande.

5 L’enfant, grâce à ses tuteurs, est en liberté protégée : il a une certaine liberté dans ses choix, qui seront respectés, et les coudées franches entre des limites clairement établies le plus tôt possible, pour sa sécurité, sa santé, son respect et ceux des autres.

6 Limite les interdits et tes interventions à leur strict minimum, en quantité et en intensité : un enfant qui apprend à se lâcher ne doit pas être maintenu : le tuteur est là, à côté, prêt à le rattraper pour éviter les blessures graves, mais il ne fait pas intrusion dans son espace de liberté. Cela demande plus de temps (on avance moins vite quand c’est l’enfant qui marche) et plus d’attention (être là pour le protéger, en cas de besoin, donc rester en état de vigilance) mais c’est la seule manière de respecter ce principe de base, essentiel :

Le tuteur n’est pas là pour empêcher, ni même limiter ou corriger les erreurs (c’est là le rôle de l’enfant), il est là pour en limiter les conséquences néfastes et empêcher qu’elles ne soient graves.

Il ne tient pas l’enfant par la manche, il se tient à sa disposition.

Cela implique aussi, bien sûr, une maison organisée pour faciliter la vie à l’enfant, pour qu’il ait le moins possible à demander d’aide (aide qu’on lui accorde, bien sûr, dès que demandée, mais toujours de la manière la plus légère possible, en expliquant pour faire en sorte que cette aide ne soit bientôt plus nécessaire).

7 Pose tes limites, mais justifie toutes tes décisions : les interdits ont des raisons bien fondées, ils n’ont rien d’arbitraire, il faut donc les exposer sans pudeur excessive ni mensonge. Ce temps d’explications, souvent répétées, est un investissement mille fois rentabilisé par la suite.

8 Traiter l’enfant en personne, c’est respecter ses choix, ses activités et ses envies dès que possible, mais c’est aussi lui apprendre à respecter les tiens ! Donner trop de droits à l'enfant en sacrifiant les siens pour lui, ou lui refuser le respect qu'il mérite en lui parlant comme on n'oserait parler à aucun adulte, ce sont deux façons de commettre la même erreur.

9 Pas de zèle, corvées ou sacrifices non indispensables au bon fonctionnement de la maison, en matière de ménage en particulier : en faire le moins possible et faire participer l’enfant le plus possible, toujours en autonomie bien sûr, c’est du temps gagné en commun (faire le ménage ensemble mais aussi plus de temps pour jouer ensemble) et donc de la richesse pour tous !

10 Avoue tes erreurs, tu n’en perdras pas en crédibilité, bien au contraire ! Chaque erreur assumée est un exemple de réussite.

11 Ne refuse jamais un câlin, une marque d’affection, une consolation, ne fais pas de ton amour une monnaie, répète lui aussi souvent que nécessaire que tu aimeras toujours ton enfant pour ce qu’il est, quoi qu’il fasse. Nier une douleur ou un chagrin (« oh, la belle cascade ! ah, ah, ah ! »), ce n’est pas la rendre plus légère pour l’enfant, bien au contraire, c’est l’enfouir, enfouir avec elle la légitimité de ce besoin d’affection et nier la véracité des sensations de l’enfant et la confiance qu’il peut leur accorder.

12 En bref, donne à ton enfant ta confiance (n’aie jamais peur de lui, il est le seul qui ait quelque chose à perdre dans tout cela, toi tu ne peux qu’y gagner !) , et donc la sienne, dans ses choix, ses décisions, ses ressentis, ses capacités à agir et à accomplir une tâche, apprends lui que l’erreur est surmontée par son acceptation et sa prise en compte, elle n’est pas source de frustration ni de souffrance, mais au contraire à l’origine de chaque progrès.

13 Et enfin, n’écoute pas les « il faut », les « il doit », la vie n’est ni une discipline ni un ensemble de contraintes, c’est au contraire un espace de liberté, d’échange, d’adaptation, de respect des différences et d’inventivité !




Les parents, l’école, la société, le travail ont fait de moi un adulte incomplet, non autonome, incapable de suivre sa volonté et ses choix, en recherche permanente d’un idéal et d’un bonheur impossibles… et je ne dois pas être la seule, à en juger par le succès des comédies romantiques et l’efficacité des publicités en général… de tout ce qui touche au magnétique « amour », en particulier.

Sommes-nous des êtres à ce point incomplets que nous cherchions ainsi partout notre « moitié » ? A-t-on nécessairement besoin de fusionner avec un autre ? Pour procréer, oui. Pour vivre, non. Ah, bien sûr, pour élever un ou des enfants, il est préférable d’être (au moins) deux : difficile, autrement, de trouver le temps ET les moyens, tout à la fois, de s’en occuper. Mais cela implique-t-il une relation si exclusive qu’elle en devienne redevable ? Un ami aussi peut nous aider à subvenir à nos besoins ; en échange il ne demande rien : l’amitié est sa seule « garantie ». La confiance est partie intégrante de l’amitié, et ne serait-ce pas finalement la seule chose nécessaire et suffisante à l’intérieur d’un couple de parents ?

Je sais, c’est dur de se convaincre que, si l’autre part courir le guilledou, il n’y a aucune raison de s’en offusquer ni même de s’inquiéter, dès lors qu’on sait que notre relation n’en sera en rien changée. Je ne sais pas moi-même comment je prendrais ça, avec tous mes jolis raisonnements, si ça m’arrive un jour en pleine figure.

Et, même si j’y arrive, il reste encore une grosse épine charnue dans mon petit peton : le poids de la société, son regard pesant.

Les codes sociaux, les interdits culturels

Il faudrait donc non seulement éviter l’attachement (en son sens négatif, bien sûr) hors liens parent-enfant mais aussi parvenir à esquiver la pression sociale qui nous montre du doigt si l’on ne respecte pas ses codes.

Et au fait, ces contraintes ne sont-elles pas contre-productives ? Rendre toute relation intime, extérieure au couple, interdite, c’est la rendre encore plus tentante… Et rendre la sexualité consensuelle et quasi-obligatoire dans le couple, c’est la rendre ennuyeuse et lassante.

Poser que le couple est étroitement dépendant de la fidélité, c’est le rendre fragile, donner des motifs de rupture, alors même que la rupture n’aurait aucun lieu d’être si l’on séparait l’intimité personnelle de chacun de celle du couple.

D’ailleurs, l’infidélité, c’est quoi ?

La fidélité nous trompe

On dirait bien que le mariage, le culte de la fidélité, toutes ces fabrications, censées souder la cellule familiale, maintenir un milieu favorable à l’épanouissement des enfants, sont en fait à double tranchant : l’exclusivité qu’elles imposent, loin de la rendre plus solide, fragilisent au contraire cette cellule par les interdits si tentants, et les désirs et pulsions ainsi créés.

Et puis d’abord, la fidélité, c’est quoi ?

-Ne jamais avoir de désir pour un(e) autre ? C’est raté…

-Ne jamais avoir de plaisir sans le conjoint ? Encore raté… Il n’est pas interdit d’avoir ses propres fantasmes et ses moments de plaisir solitaire encore, non ? ouf.

-Ne jamais avoir de contact intime avec un(e) autre ? Zut, que vais-je dire à ma gynéco ? « Désolée docteur, propriété privée… ». Et à mon bébé ? « Désolée petit, touche pas mes titis ils sont à papa ». Et puis bon, bref, retournez au chapitre « l’intimité » pour vous re-poser la question : ça commence où ?

-Ne jamais prendre de plaisir avec un(e) autre ? Fini les séances de massage, de relaxation, fini aussi les essayages de chaussures… ben oui, les fétichistes du pied, ça existe ! Tout contact est prohibé alors ? Et quand on sait qu’une femme (un homme aussi, peut-être mais je ne sais pas) peut avoir un orgasme dans son sommeil… ça devient compliqué.

-Ne jamais donner de plaisir à un(e) autre ? Alors là, je ne vois que la burka, et encore, car on n’est pas maître(sse) de l’effet qu’on a sur autrui…

-Ne jamais prendre un plaisir partagé avec un(e) autre alors? Un regard intense peut suffire à faire vibrer deux corps… la burka je vous dis, il n’y a plus que ça !

Mais non, vous prenez le problème à l’envers ! Allez directement au but : être infidèle c’est faire l’amour avec un(e) autre, point.

Ah… Alors sucer n’est pas tromper ? Un bon point pour toi, Bill…

Rouler un palot d’enfer, avec extrême émoustillement partagé, ce n’est pas tromper ?

On peut faire l’amour sans plus d’enthousiasme que ça… mais on peut aussi faire très peu en partageant beaucoup. Et puis, même en se limitant à cette logique, on peut aussi se sentir trompé pour pas grand-chose… Surprendre son homme en train de mater des anatomies sur le net, ça peut suffire à blesser, croyez-en mon expérience.

Mais si on y réfléchit deux secondes, de quel droit pourrait-on régenter la vie de l’autre ? Qu’est-ce qui nous autorise à dire que, ça, il n’avait pas le droit de le faire ? Et même si, finalement, comme moi, vous décidez que, ben oui, regarder des minettes sur un écran, outre que ça pourrait lui apprendre des trucs, ça n’est pas bien méchant non plus, vous vous devez de poursuivre votre raisonnement jusqu’au bout :

Alors, ça, c’est autorisé ? Ce tête-à-tête (pour rester correcte, cette fois) glauque et sans saveur, vous le lui accordez ? C’est donc tout ce qu’il mérite ? Tout ce que vous lui donnez le droit de vivre sans vous ? C’est pas un peu mesquin ?

En tout cas ce n’est pas une très belle preuve d’amour.

Si on creuse un peu, est-ce qu’aimer ce n’est pas vouloir le bonheur de l’autre ? À partir de ce moment, on comprend que vouloir priver l’autre de quoi que ce soit qui ne concerne que lui, c’est injuste et c’est aussi tout sauf de l’amour.

Et puis d’abord, ce qui nous gêne, au fond, est-ce que ce ne serait pas, plutôt que l’infidélité elle-même, tout ce qui puisse mettre notre équilibre de couple en danger ? Oh, mais ça, c’est ingérable mon pauvre monsieur… des facteurs comme cela, il y en a beaucoup trop ! Et si on cherchait à le faire réellement, il faudrait traquer jusqu’aux pulsions et émotions intimes de l’autre… et ça, ce n’est plus de l’amour, mais vous l’avez compris, de l’attachement… (ou si vous l’avez oublié, retournez zyeuter le chapitre du même nom)

Je crois que ça devient évident : le seul moyen de s’en sortir, c’est de séparer clairement l’intimité de chacun de la structure du couple. On a bien vu que rendre toute autre relation intime interdite, c’est juste donner des motifs de rupture, or il est une relation qui se doit d’être toujours préservée (et qui n’a d’ailleurs aucune raison d’être rompue) c’est l’amitié dans le couple parental. Elle seule est garante de la protection des enfants. Mais pourquoi devrait-elle toujours rimer avec partage obligatoire d’intimité ? Pourquoi le désir permanent serait-il un dû ? C’est cet aspect obligatoire qui lui fait perdre son attrait, justement.

En liant amitié parentale et sexualité, couple et attachement, on prend le risque de briser toute la chaîne avec le premier maillon fragile… Or il en est une qui ne devrait jamais périr.

Métaphores tentant d’être explicatives

Remettre en cause la fidélité du couple, si ancrée en chacun de nous, n’a pas été une mince affaire, pour moi en tout cas. Il a fallu que je poignarde dans le dos le mythe du Prince Charmant (le prince est vivant, lui, ne vous inquiétez pas !) et avec lui toutes les histoires que j’ai sirotées, petite fille, et que je déguste encore en tant qu’adulte, dans une séance de cinéma sur deux… Mais il faut se rendre à l’évidence : cette notion de fidélité est un casse-tête sans nom ! Le tout ou rien est le seul choix qu’on ait… et comme je n’approuve pas spécialement la burka et que je doute même fortement de l’utilité de la lapidation, j’ai fini par pencher de l’autre côté…

Il n’est pas reproché, dans notre société, de partager son intimité avec ses mains, ou avec un objet, alors finalement pourquoi la partager avec un autre serait-il si différent ? Si ce partage d’intimité reste respectueux de l’autre et de la relation qui nous unit ? Et il le reste, justement, tant qu’il est du domaine de notre intimité et qu’il n’entraîne ni exclusivité, ni jalousie, ni culpabilité d’ailleurs, ni obligations non plus… ni attachement bien sûr !

Des relations d’adultes, en somme.



Résumons-nous, donc :

-il paraît évident que le couple parental et l’amitié qui le lie doivent rester intacts, pour que les enfants grandissent en son sein et deviennent des adultes libres, entiers et autonomes lorsque leur tour viendra de créer ces liens aussi.

-la sexualité n’est pas intrinsèque au couple, elle reste en dehors de ce lien, parallèle en quelque sorte, mais indépendante, propre à chacun des membres du couple ; en avoir une active en commun est la cerise sur le gâteau.

-ce n’est d’ailleurs pas elle qui met l’union ni l’amitié du couple en danger, c’est l’attachement qui en est la principale faiblesse potentielle (je ne parle bien sûr pas de l’attachement parent-enfant qui est, lui, nécessaire et indispensable). Et cet attachement est dangereux pour l’union, qu’il soit interne au couple ou dirigé vers l’extérieur.

Finalement, c’est comme si chacun de nous se devait d’être un pilier, solide, indépendant, tenant seul debout.

A deux, on peut former une arche, l’amitié, qui devient parentale lorsqu’elle se met à abriter des enfants, quels qu’ils soient d’ailleurs.

On comprend alors que chaque pilier puisse former d’autres arches, vers qui il veut, à la seule condition qu’aucune pierre des piliers ne soit ébranlée ou déplacée par cette nouvelle construction. Mais on voit bien qu’en pratique, chaque arche tend plutôt à élargir le pilier et à le solidifier, donc.

Comment arriver, alors, à faire cohabiter ainsi respect de l’autre, sincérité, solidité des liens et maintien du secret de l’intimité de chacun ?

La seule façon, on le voit, est de considérer que l’intimité de chacun se situe au cœur de chaque pilier. La partie partagée, devenue l’intimité du couple, est une extension, propre à l’arche concernée.

On peut ainsi, sans affaiblir ni entamer l’arche, lier d’autres relations intimes ou privilégiées, à partir du pilier.




Tout cela implique, il est vrai, un changement de mœurs et de culture en général, mais je suis persuadée qu’il est possible, et même de note devoir…. Et qu’il ne met aucunement en péril l’équilibre de nos enfants, bien au contraire ! (Imaginez ce beau toit protecteur formé par l’ensemble de toutes les arches du monde ! Les enfants pourraient y circuler à volonté, librement. Moment de rêve…)

L’intimité de leurs parents ne regarde pas les enfants !

Seuls comptent le respect, la cohésion et la tendresse qui unissent le couple, et cette famille.

Oui, on s’est aimés à la folie (et on s’aime toujours) et de ce feu sont nés de beaux enfants, qu’on aimera à jamais, mais oui aussi,notre cœur palpite toujours, pour l’autre ou pour d’autres, nous ne sommes pas restés figés dans ce moment, notre vie continue, elle bouge et nous rend heureux chaque jour, pour votre plus grand bonheur à vous aussi, nos enfants.

Alors, à quand le changement ?

Oser écrire cela a déjà été une épreuve pour moi, ou plutôt une surprise : cela ne me venait même pas à l’esprit, avant de suivre le fil de mes questionnements… Seule pesait, dans la balance, ma culpabilité face au « désir » pour l’autre.

Et mon Prince est si Charmant que je sais qu’il me comprendra…sans en abuser !

Le changement, oui, mais comment ?

Oui, c’est toujours bien joli ces idées, mais concrètement, comment on fait ? C’est fini ? On n’a plus le droit de tomber amoureux ? de succomber à la flamme ?

Mais si ! Mais il y a l’art et la manière…

Ce ne sont pas nos sens qu’il faut bâillonner, mais notre attachement qu’il faut contrôler.

Tomber amoureux, oui, mais sans les contraintes et l’exclusivité qui nous entravent ! Ne pas chercher son reflet (ou celui de ses parents ?) en l’autre, ne pas attendre l’amour qu’on désire pour soi dans celui que l’on donne à l’autre. Tout cela doit nous y aider.

Finalement, c’est la relation à notre ego qui est à viser et contrôler. C’est elle qui influence et régit notre manière d’aimer. Se changer soi, donc, c’est la solution pour sublimer nos relations aux autres.

On tombe amoureux, oui, pourquoi pas, mais on en est conscient, je serais même tentée de dire, non-romantiquement parlant, que l’idéal est d’y consentir tous deux de manière éclairée.

Mais ça casse tout !

Vous êtes sûr ? Tout cela implique qu’on se parle, qu’on prenne son temps, qu’on y aille doucement… et l’attente est aussi agréable que bénéfique, non ? C’est toujours plus de plaisir qu’un tac-tac précipité dans le feu de l’action, vous ne trouvez pas ?

D’ailleurs, je ne sais pas vous, mais moi, pour m’endormir, rien de tel qu’une petite rêverie, yeux fermés, de romance débutante (ah ben oui, on ne se refait pas, je sais), une historiette qui débute, avec le fard et les palpitations des premiers instants où l’on comprend qu’on est la personne que l’autre vise… Mais je m’arrête et je reprends au début si par hasard je ne me suis pas endormie avec la scène du premier baiser,ah ça non ! après, ça n’est plus aussi bien… ça n’a rien à voir même… il faudra décidément que je pense à une petite psychothérapie à l’occasion…

Trêve de digressions, revenons à nos amoureux : cette attente, c’est le temps de construire l’arche, de choisir ses pierres, de la faire solide. C’est pouvoir faire à tout moment marche arrière, être maître de son avancée, ne pas résister à l’embrasement, non, mais en faire un facteur supplémentaire en faveur de la solidité de l’arche, lui donner du combustible, même, créer une fusion qui rendrait cette arche dure et indestructible, encore davantage une fois le feu éteint et la lave refroidie.

C’est l’exact contre-pied de l’expression « tomber amoureux » prise au sens propre : la chute de deux colonnes l’une vers l’autre, éventuellement dans les flammes et souvent avec les dégâts que cela occasionne : le besoin de l’autre pour tenir debout, les fissures, les éboulis de pierres… bref un condensé des conséquences néfastes d’un embrasement.

Je précise ici que je parle uniquement de liens durables : bien entendu rien n’interdit les relations charnelles temporaires et entièrement « gratuites » (et toujours protégées bien sûr !), sans lendemain, c’est simplement différent, la dimension en est uniquement physique, sans autre prétention mais pas sans charme, c’est certain.

Mais dès lors qu’on espère autre chose d’un coup de foudre (ou d’un embrasement progressif, d’une montée lente du désir, d’ailleurs), rien n’est meilleur à mon avis que la franchise et le dialogue.

Quoi de plus excitant que de lier les mots à l’action ? Qu’accéder à chaque étape en pleine conscience de son propre embrasement, du feu d’artifice de ses sens ?

Dire « Tiens, là non, je n’ai plus envie, on reprendra plus tard, je veux en profiter pleinement », jouir de chaque instant en fait, se laisser aller à l’abandon et au bonheur en totale conscience, à chaque seconde.

Voir son désir et celui de l’autre bien en face, ne pas se bercer d’illusions ni se laisser aller sans volonté,, ne serait-ce pas justement amplifier encore l’intensité des émotions ?

Bon, prendre son temps donc… mais aussi et surtout agir objectivement, en pleine conscience et respect de nous-même . Car le temps ne fait pas tout : il ne doit pas, par exemple, nous laisser construire l’arche avec la pierre de nos piliers…

Les liens d’amitié que sont ces arches sont d’une solidité à toute épreuve, ils ne sont pas dépendants de l’usage plus ou moins intensif que l’on en fait ; ils sont là, à jamais, intacts le jour où on les sollicite à nouveau.

La seule menace qui peut les mettre en danger, c’est l’atteinte de l’intégrité d’un (ou des) piliers qui les portent.

Mais chaque amitié véritable vient solidifier et renforcer les piliers porteurs, maintenir leur intégrité par la cohésion ainsi créée.

Conclusion à nouveau : multiplions les amitiés !

Oui, oui, multiplions les amitiés, mais il me manque tout de même quelque chose… il est passé où, l’amour ? … …Ne me dites pas que je dois y renoncer ?!

Alors, fini les « je t’aime » ?

Ah, ils ont beau essayer, même les soi-disant « anti-comédies romantiques » (Gilles Lellouche je t’adore, mais là, tu n’as pas réussi à sortir le film de l’ornière) restent vouées à un seul culte : l’union d’un homme et d’une femme (généralement) dans une relation exclusive et forcément unique… et… au moyen du fameux « je t’aime » tant attendu.

Au fait, vous avez remarqué ? Elles s’arrêtent toutes sur le mot « FIN » lorsque le feu de la passion est consumé et qu’il laisse place à … la vie ! Ah ? Alors la vie est si peu intéressante que ça ? C’est que quelque chose cloche dans ce cas… parce qu’elle prend tout de même beaucoup de place dans… notre vie justement. Et l’on n’a pas le temps de regarder des comédies romantiques tous les jours…

A propos, quand tu me dis « Je t’aime », tu veux dire quoi ?

Je te désire ? …Tant mieux !

Je te respecte ? …ouf !

Je t’estime ? …Chouette !

Je te veux ? …Ah… ça dépend.

Tu es à moi ? …Alors là, non.

Un lien privilégié n’a aucun avantage à être un lien exclusif ni restrictif.

C’est un lien intime, privé, unique, surtout si des enfants en naissent ; il se doit alors d’être durable, respectueux, amical et franc, mais il perd son essence lorsqu’il devient liberticide !

C’est un lien LIBRE entre deux êtres ENTIERS, qui S’ENRICHIT chaque jour ; et non un lien sclérosant qui nous diminue et nous étrique progressivement.

L’amitié comme un cadeau, l’amour comme un don.

Alors ? l’amour ?

Il est dans la terre qui nous a nourris, qui nous tient, c’est d’abord l’amour inconditionnel de nos parents, celui qui a fait de nous des piliers, des êtres, beaux, solides… et rayonnants.

Car l’amour rayonne de nous aussi, vers l’ensemble de ce(ux) qui nous entoure(nt). C’est un don, sans attente, sans calcul, la diffusion autour de nous de ce que l’on a reçu. C’est le respect, l’estime, le soutien, l’empathie vers toute personne, connue ou inconnue.

C’est un don universel, sans destinataire particulier.

Bon… et l’amitié alors ?

Eh bien amour et amitié ont des points communs tout en étant fondamentalement différents.

L’amour est une entité unique, universelle et infinie : il n’est pas limité en quantité, on peut en distribuer sans crainte d’en manquer, quel que soit le nombre de personnes que l’on rencontre. C’est une source inépuisable, tel l’amour maternel (ou paternel), qu’il est possible de donner avec une intensité identique, quel que soit le nombre de personnes ou d’enfants. Je dirais même qu’il s’enrichit et se ressource en étant distribué : il se reflète en l’autre et revient nous réchauffer, encore plus fortement. Chaque être qui le reçoit le redistribue, c’est là sa source et l’explication de son renouvellement infini.

Seul le temps est limité… les amitiés aussi, donc, qui nécessitent du temps pour être bâties.

L’amitié est aussi infinie mais en nombre : chacune est unique, mais il n’y a pas une amitié ; il y a autant d’amitiés que de couples d’amis.

Chaque amitié s’appuie sur un ou plusieurs aspects de notre personnalité (notre pilier) et les rend encore plus solides, les développe, les étend. C’est un lien unique, donc, par sa composition, et privilégié, puisque entre deux être parmi la multitude.

Mais ni l’amour ni l’amitié ne donnent lieu à des contraintes, ni ne privent de liberté.

C’est séduisant, mais ça manque un peu de piquant, non ? Où est passé le désir, où sont le plaisir, l’émotion, le battement de cœur ?

Peut-être qu’un jour on devient assez sage pour s’en passer, mais j’avoue que moi aussi j’en ai encore besoin… est-ce parce que ça flatte mon ego ? Est-ce parce que je n’ai pas encore atteint la félicité permanente qui me rendra ces petits plaisirs bien futiles et minuscules ? C’est bien possible…

Et en même temps, dois-je vraiment m’en priver ? Pas le moins du monde ! Un être libre peut jouir de toutes les possibilités que lui offrent son corps, son esprit, son intimité et ses désirs. Et partager ces opportunités avec qui l’on veut est aussi une manière de s’enrichir… agréablement qui plus est.

Mais pourquoi se mettre volontairement des bâtons dans les roues, des freins et des obstacles en tout genre ?

Pourquoi décider que telle amitié, parce qu’elle serait agrémentée de désir sexuel réciproque, et qu’elle aurait éventuellement donné la vie à des bambins, serait l’Amitié, la seule, la vraie, celle de toute notre vie… celle que l’on nomme abusivement l’Amour ?

Notre pilier, ainsi affublé d’une seule arche bien lourde et encombrante, est déséquilibré ! Certains de ses aspects sont oubliés voire niés et notre personnalité n’est alors pas épanouie dans son ensemble, uniquement dans celles de ses caractéristiques qui répondent aux goûts de l’être aimé.

Pourquoi se priver de la richesse d’autres liens et se restreindre à une relation unique ?

Alors, le hasard, la chance ou la malchance des rencontres décideraient de tout le reste de notre vie ?

La première personne dont on tombe (réciproquement) amoureux serait-elle la seule « valable » ?

Et tisser des liens avec d’autres personnes serait la condamnation absolue de la première relation ? Elles ne peuvent donc pas cohabiter sans se gêner ?

Si, bien sûr, chacun a différentes pierres à apporter à notre édifice, et ces constructions se complètent les unes les autres.

Même le grand Romain Gary (dans Clair de Femme), plein de son amour absolu pour son épouse, a pu du jour au lendemain en faire offrande à une autre, alors…

Le lien puissant qui unit deux êtres, que vous l’appeliez amitié ou préfériez continuer à le nommer amour, n’est pas une condamnation à perpète, c’est un cadeau en forme d’ouverture, un lien vers l’autre en particulier et les autres en général, certainement pas une barrière et encore moins un enclos !

C’est en donnant cet exemple à nos enfants que l’on bâtira la société solide dont le monde de demain a besoin… dès aujourd’hui.

Spéciale dédicace et respect infini à Maria Montessori.

Alors libérons nous, ouvrons nous aussi… et protégeons nous, bien sûr !

Eh bien… c’est ce que je disais… c’est simpliste tout ça !

C’est simpliste, certainement… simple, en tout cas.

Et si la vie était plus simple qu’on ne le croit ?