jE N’Y ARRIVE PAS

Je n’arrive pas à mettre mon gilet jaune sur le tableau de bord. Mais pourquoi ?

Alors que comme Ruffin je suis heureuse, soulagée et enthousiasmée de voir que les gens de la vraie vie ne sont pas entièrement résignés, alors que je ne souhaite qu’une chose, c’est que le mouvement s’amplifie et perdure pour obtenir de réels changements et une vraie démocratie, j’ai peur de cet objet.

Parce que c’est un jaune qui sent le soufre. Une petite odeur, même totalement absente lorsque j’entends certains d’entre eux, mais qui me pique fort les naseaux quand je lis d’autres revendications, d’autres slogans, d’autres désinformations clairement extrême-droitistes traverser le courant de révolte.

Quelle part a ce jaune soufré dans la création, la motivation et le maintien du mouvement ? Si j’avais la réponse, je saurais quoi faire de mon « gilet haute visibilité ».

Jusqu’ici rien d’anormal, voire que de très logique :

- Macron a créé un mouvement « ni de droite ni de gauche, bien au contraire »,

- il se retrouve avec une opposition dans la rue « de droite et de gauche, et bien plus encore ».

Ah oui on est d’accord sur le contre, sur l’opposition quoi, mais ensuite, on fait quoi ?

Comme la droite on réclame un état d’urgence, qui empêcherait de facto toute poursuite du mouvement en interdisant les rassemblements ? on voit bien quelle démocratie ils nous préparent, ceux-là, s’ils accèdent au pouvoir. Silence dans les rangs !

Ou bien on part vers une société écologique et sociale, que j’appelle de tous mes voeux, mais on est combien dans ce cas ?

Les gilets jaunes les plus courageux, les plus entêtés, les plus teigneux, ceux qui ont déjà réussi l’exploit de faire reculer un petit peu messeigneurs Philippe et Macron, ils sont de quel bord ?

Je n’en sais fichtre rien, mais imaginons qu’ils soient du premier de ceux évoqués ci-dessus ?

Ca va pas trop leur plaire, l’ouverture des frontières, la simplicité volontaire, le partage des richesses et du travail, dès lors qu’ils vont ressortir la tête de l’eau et se sentir à leur tour en droit de défendre leurs possessions contre les méchants immigrés qui veulent tous nous remplacer…

Quand je mets mon gilet bien en vue (si si, ça m’est arrivé, à peu près deux minutes, avant de le ranger illico presto, en espérant que personne ne m’avait remarquée), j’ai l’impression de rentrer dans un jeu dont je ne maîtrise absolument pas les règles…

C’est comme dans cette histoire dont j’ai entendu parler, « la Vague » : on crée deux clans, ceux qui portent le signe et ceux qui ne le portent pas. Et ensuite, on fait quoi du camp adverse ? Et ce signe, concrètement, il veut dire quoi ?

-« On est chez nous » ?

-« Peace and love » ?

-« On veut pouvoir rouler en gros 4X4 diesel sans qu’on vienne nous faire chier » ?

-« Rends l’ISF d’abord » ?

-« Ras le bol des taxes et des normes, l’écologie ça commence à bien faire » ?

-« Une autre société est possible » ?

-« La France aux Français » ?

-« Ruffin Président » ?

Aïe, ça fait mal aux adducteurs.

Je pense que, pour le moment, ce signe veut juste dire « laissez moi le droit et les moyens de faire ce que je veux ».

OK, c’est légitime.

On bosse, on trime, on aimerait pouvoir en retirer quelques marrons du feu et les déguster, pas juste garder la douleur du cramé sur le bout des doigts.

C’est légitime mais c’est léger.

Et donc, légèrement dangereux.

Parce que l’individualisme forcené, on a déjà essayé, les politiques ont bien joué dessus pendant des dizaines d’années, c’est bon, on a vu à quoi ça nous menait.

A aujourd’hui.

Et on ferait tout ce ramdam pour repartir comme avant, une fois la partie « gagnée » ? C’est ce que je crains. Et j’ai quelques raisons de le penser.

Les lois sur l’immigration, ça les avait révoltés ?

La société du flicage généralisé et de la surveillance de tous par tous et surtout par certains, ça les avait inquiétés ?

Le massacre des droits de l’Homme et de la Planète par un commerce sauvagement meurtrier, dont on se gaverait fort joyeusement si on le pouvait en ces temps de Fêtes, ça les culpabilisait ?

Pas que je sache.

OK, la majorité des révoltés d’aujourd’hui étaient bien trop noyés sous les soucis et le boulot pour réfléchir à tout ça, mais il ne faut pas oublier que, en attendant, ce qui a déclenché ce mouvement populaire, c’est exclusivement un problème financier. C’est le nerf de la guerre, soit, c’est le début et la fin de tout, des haricots comme de la vraie vie, et c’était le déclic nécessaire. Mais est-ce que c’est suffisant pour être LA Cause, la grande, avec un grand C, celle qui réveillera tout le monde ?

Comme dans ce film tiens, « l’Eveil », où des personnes, physiquement présentes mais absentes au monde, reviennent brusquement et ont envie de vivre. Leur regard s’anime, leurs sentiments reviennent, ils ont des opinions, des envies, des refus. C’est beau. C’est saisissant. Mais ils se rendorment ensuite comme ils s’étaient éveillés. A Ciao bon dimanche ! Pourquoi ? Parce que la raison de leur éveil s’était usée, ils s’y étaient accoutumés, et rien de durable n’avait pris le relais.

C’est ce qui ne manquera pas d’arriver si une nouvelle vague, une vague du « POUR », celle là, ne vient pas relayer la première.

Messieurs et Dames les politiques, qui pestez, relayez, insistez sur le matraquage fiscal, le pouvoir d’achat et toutes les données pécuniaires qui ont fait monter le mouvement de révolte du peuple en gilet, gardez vos forces.

Economisez-les.

Tous ces arguments vous font aimer de la population révoltée, oui, ça va dans le sens du vent, mais le vent va retomber. D’une façon ou d’une autre, il va faiblir, tourner, peut-être très mal tourner d’ailleurs.

C’est pourquoi votre rôle aujourd’hui c’est certes de relayer les besoins urgents de meilleure répartition des richesses et de réhabilitation de la justice sociale.

Mais c’est surtout de construire d’ores et déjà la vague relais, celle qui va porter les esprits vers une idée positive de ce que pourrait être la vie si on s’unissait tous dans un commun projet.

Ruffin, tu dis qu’on ne manquera pas de trouver des candidats pour remplacer Macron s’il démissionnait. Je suis d’accord avec toi. Et c’est ça qui m’effraie ! ( pas d'être d'accord avec toi, mais non)

Pourvu que ces candidats là n’aient pas dans l’idée de profiter de la vague porteuse pour inonder la société de haine et de barbelés.

Alors vous, gens de pouvoir et porteurs de parole, criez et alertez, sur les dangers d’une société qui se refermerait sur elle même, passerait à l’état d’urgence, à la marche forcée, au « je ne veux voir qu’une tête » que commencent à nous vendre les politiques droitiers.

Et surtout construisez, consolidez, expliquez, convainquez, parce que le vent retombé, s’il n’est pas relayé par un courant chaud ascendant, sonnera le début de notre dernière chute.