Question banale dans un certain contexte, et pourtant, question fondamentale... Qu'on devrait se poser, au moins, tous les matins !

Est-ce que je suis libre ? Allez, aujourd'hui, on se la pose !

-Libre de choisir mes amis ?

Tout dépend... si vous êtes en couple, il va être difficile voire impossible d'avoir un ou des amis du sexe opposé. Ca ne se fait pas d'aller au ciné, en balade ou simplement partager un moment avec un(e) ami(e) potentiellement rival(e) de votre cher(e) et tendre...

Mais tout va bien, on ne se pose même pas la question puisque se la poser serait tout simplement incorrect ! Pourquoi avoir besoin d'un(e) autre ami(e) alors qu'un seul être devrait nous suffire ? Notre personnalité est à ce point petite qu'elle se suffit à échanger avec une seule personne ! Vouloir s'en envoler de temps en temps serait pis qu'une infidélité !

Mieux vaut se contenter de regarder la télé, un bon match de foot... des dizaines de bons matchs de foot... un bon film romantique... des dizaines de bons films romantiques... ça ce n'est pas de l'infidélité puisqu'on ne s'y épanouit pas, on s'en "contente", ouf !

-Libre de m'habiller comme je le veux ?

Oui, si tu n'as pas peur d'être ringard... La mode est là pour te dicter chaque année ce que tu dois acheter, par qui il doit être fabriqué et combien tu dois le payer. A part ça tu mets ce que tu veux ! Tu veux quoi ? Un habit fabriqué pas loin de chez toi ? Ah, là ça va être plus difficile... Un vêtement de telle ou telle forme, telle ou telle couleur ? Ah, du sur-mesure, là ça va être très cher... Mais chacun fait comme il veut, puisque nous vivons dans une société libre !

-Libre... de me tromper alors ?

Te tromper ? Mais pour quoi faire ? Prends ce GPS, il t'indiquera le seul et bon chemin; prends cette pâte tout faite, ce plat tout prêt, là tu es sûr de ne pas te tromper... et de manger pareil que tout le monde, sans avoir choisi ce que l'on met dedans ? Ben oui, et alors ?

Alors, si l'on n'a plus droit à l'erreur, on n'a plus droit non plus à la corriger, donc à progresser ? On n'a plus le droit de se tromper de chemin, de rencontrer des gens que l'on n'aurait pas dû rencontrer, de faire des choses imprévues... Mais à part ça tout va bien, on est libre ! Libres d'être sur LE bon chemin, le seul chemin autorisé...

-Libre de passer mon temps libre à faire ce que je veux ?

Bien sûr, surtout si tu avais décidé de regarder cette émission chiante, que tu n'avais pas prévu de t'oxygéner ce soir, que tu voulais justement écouter ce débat qui ne servira à rien, ou juste à te confirmer que tu es bien dans le droit chemin, que tu fais bien partie du groupe qui avance en rangs serrés. Ou alors tu avais choisi de jouer pendant des heures à un jeu qui te stresse et te fait mal au crâne ? Ca tombe bien, tu n'as que l'embarras du choix pour cela !

Mais libre de prendre le temps de se poser, de ne penser à rien, ou juste à ce que l'on veut faire de sa vie, à ces pensées qui nous hantent et nous nuisent parfois, au moyen de les surmonter... au moyen de rendre les autres heureux aussi.... ouhlala, mais pourquoi faire ? Tu ne préfères pas être libre de ne pas réfléchir ? De laisser les autres réfléchir pour toi ? Ah oui, c'est plus simple...

-Libre de faire ce que je veux, et juste ce que je veux ?

Mais bien entendu ! Une fois que tu auras fermé ta porte à clé, vérifié que ta voiture est bien toujours garée en bas, que tu as bien pensé à la fermer, que ton assurance te couvre bien en cas de vol, que ton micro-ondes n'est pas en panne (sinon tu vas manger quoi ?), que ton téléphone marche, pour appeler le magasin d'électroménager, parce que finalement ton micro-ondes ne fonctionne plus... de descendre à ta voiture avec ton four, pour l'emmener chez le marchand, qui ne répond pas au téléphone, de remonter chercher ton GPS, que tu avais rangé en lieu sûr pour qu'on ne te le vole pas, de remonter encore chercher le chargeur de ton portable, parce que le GPS ne connaît pas le magasin "vendtoutmaisréparerien", de téléphoner à ta famille pour dire que tu vas rentrer tard, de te dire que tu vas être obligé(e) de rattrapper demain le retard de ménage que tu n'as pas pu faire aujourd'hui... Ah oui, une fois que tu auras fait tout ça, alors là, tu pourras faire ce que tu veux ! Mais le plus simple, ce serait que tu aies juste envie de faire tout cela...

-Bon, mais au moins, libre de penser ce que je veux ?

Bien sûr Florent, tu as ta liberté de penser : tu es libre de te ronger les sangs pour un dîner, un repas de famille, une rencontre qui va avoir lieu le mois prochain... Libre de te sentir agressé par une remarque qui, pourtant, ne trahit que la malaise de celui qui la formule... Libre de te mettre en colère pour des détails matériels, de te sentir le point de mire de tous les petits malheurs, qui arrivent pourtant à beaucoup de gens... Libre de repenser à un mauvais moment de la journée alors que la soirée est magnifique dehors...

Bien sûr que tu es libre, tu choisis toi-même les dimensions de la cage de verre qui tient ton esprit enfermé dans ses nuisances. Mais n'y réfléchis pas trop, tu finirais par te rendre compte que tu n'es pas aussi libre que tu le crois.

Remarque, si tu y réfléchis un peu plus, peut-être finiras-tu par le trouver, le moyen d'être vraiment libre...

Et oui, la liberté va toujours de pair avec le risque : le risque de se tromper, de ne pas faire exactement ce qui était prévu, qu'il nous manque un truc, le risque de vivre, quoi.

La sécurité, elle, toute rassurante_et utile aussi parfois_qu'elle soit, est forcément une entrave, son maintien est la cause de nombreux soucis, de milliers d'heures passées à s'y consacrer, et elle est d'autant plus angoissante que l'on risque de la perdre... et si l'on ne s'est pas habitué au risque, celui-là peut nous bouleverser. La sécurité nous rend malheureusement esclaves, comme tout ce que la société de consommation nous fournit, tout prêt, avec la contrainte d'avoir à le préparer de telle ou telle façon et le handicap de ne pas savoir s'en passer, faire autrement, ou le réparer... Cela pourrait finalement être assez simple, il suffit de choisir entre la liberté et la sécurité alors ?

Oui... sauf si la sécurité était en fait une illusion... il est des risques qui ne se maîtrisent pas, et toute vie se termine par la mort, même si on passe des centaines d'heures à la préserver; dans un caisson à oxygène par exemple... Alors la seule possibilité qui s'offre à nous, finalement, c'est peut-être juste de vivre, en faisant de son mieux, avec ce que l'on a. C'est en tout cas la manière que j'ai trouvée pour être heureuse.

Et j'avais envie de la partager.

J’en ai pris la liberté.